[Réouverture des négociations commerciales] PME-ETI et multinationales : Pas d'amalgame !

Tribune de Léonard Prunier, Président de la FEEF. Publiée sur lesechos.fr le 11/05/2023

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Depuis quelques semaines, une petite musique se fait entendre selon laquelle les industriels qui vendent à la grande distribution se feraient du profit sur le dos des consommateurs et généreraient de l’inflation. Par facilité, le monde des « industriels » est vu uniforme, mettant au même niveau les multinationales et les entreprises PME-ETI. Le Ministre Bruno Le Maire ne s’y trompe pas pourtant en parlant des « gros industriels ». Cessons donc l’amalgame ! Il est indispensable de différencier entre les entreprises pour notre indépendance économique, nos territoires, nos emplois et notre pouvoir d’achat.

Dans les rayons de la grande distribution, le monde des produits de consommation du quotidien se divise en deux catégories : les marques multinationales et les marques PME-ETI.

Les premières, par leur puissance financière et les habitudes de consommation, sont dans une relation équilibrée, voire dominante, avec la grande distribution et peuvent imposer leur prix et leur présence dans les magasins. Les multinationales répondent également le plus souvent à une logique de rentabilité à court terme des capitaux investis.

A l’inverse, les PME-ETI, en tant que marques challengers, subissent un déséquilibre dans leurs relations commerciales. Elles disposent d’un pouvoir de négociation beaucoup plus faible à la fois dans les achats à leurs fournisseurs et dans les discussions avec la grande distribution pour vendre leurs produits. Seules leurs capacités à innover, à créer de la valeur et à fabriquer des produits de qualité leurs permettent de se développer et de toucher les consommateurs.

Ainsi, les récentes demandes des représentants politiques aux industriels de réviser leurs prix à la baisse pour lutter contre l’inflation seraient mortifères si elles s’appliquent aux PME-ETI, entreprises à taille humaine, par définition locales.

En effet, aujourd’hui les PME-ETI fournisseurs de la distribution n'ont absolument pas la capacité de réduire leur tarif. Aucune baisse n’est observée dans les coûts de transformation et de fabrication. Les prix d’achat des matières premières agricoles et industrielles se maintiennent à un niveau très élevé. L’énergie reste encore à date un point très problématique pour les entreprises. Enfin, les salaires ont beaucoup augmenté – le SMIC a notamment pris 9% en un an – ce qui est normal pour soutenir les collaborateurs face à l’inflation.

De surcroît, pour s’assurer l’approvisionnement de certaines matières premières, les PME-ETI font de la contractualisation à moyen-long terme, autrement dit l’évolution des prix spots ne peut constituer un cadre de référence pertinent pour demander des baisses mécaniques des prix de vente.

Lors de la dernière campagne de négociations commerciales qui s’est terminée en mars, les fabricants PME-ETI ont fait preuve de responsabilité face à l’inflation avec des demandes de hausse raisonnables s’établissant à 10% en moyenne (vs. 15% pour les multinationales). Seules 6% ont été acceptées par les distributeurs pour les PME-ETI avec pour corollaire des efforts importants consentis sur les marges.

Dans ce contexte, il ne serait pas responsable de demander aux Entrepreneurs des territoires, attachés à l’approvisionnement local et au « Fabriqué en France », de baisser leur prix, de diminuer encore leur rentabilité et donc leur capacité à investir dans l’avenir et dans la transition écologique.

Le pouvoir politique doit différencier les entreprises en fonction de leur taille. L’Europe est un exemple à suivre en la matière. Déjà, en 2019, dans sa directive PCD (Pratiques Commerciales Déloyales), le droit communautaire a introduit une différenciation en fonction de la taille des fournisseurs (<350M€ de chiffre d’affaires) pour protéger les PME-ETI contre « l’asymétrie des relations contractuelles ».

La différenciation est indispensable pour assurer la pérennité des fabricants PME-ETI et constitue donc un préalable à la réindustrialisation et à la relance du pouvoir d’achat.

La création du pouvoir d’achat passe avant tout, en effet, par la vitalité du tissu économique des PME-ETI françaises pour favoriser l’emploi ainsi que notre souveraineté alimentaire et industrielle.

Léonard Prunier, Président de la FEEF